La Tribune du Sport


Une finale aux frontières du réel

Posted in ATP Tour par Roland Richard sur 13 novembre 2013
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Source : MetroNews

Source : MetroNews

Une anomalie. J’ai beau avoir retourné la chose dans tous les sens, la finale du Masters de Londres lundi a accouché d’un résultat absolument inexplicable. Ce n’est pas tant la défaite de Nadal qui m’a surpris que la manière : 6-3, 6-4 en une heure et demie pour Djokovic. « Le café et l’addition » aurait pu résumer Frédéric Bernès de L’Equipe. Et encore, le score aurait pu être plus lourd.

 

Car au milieu de la deuxième manche, j’ai vu le visage de Nadal marqué par… la peur. Du moins par l’impuissance. De mémoire, je n’ai pas souvenir d’avoir vu l’Espagnol dans un tel état de nerfs… Impatient, imprécis et incapable de changer son fusil d’épaule tactiquement alors que la fessée prenait davantage forme à mesure que le match défilait.

 

Nadal aurait-il flanché mentalement ?

 

La question est dès lors incontournable : comment un champion de la trempe de Nadal (13 victoires en Grand Chelem, 26 Masters 1000, un titre olympique (2008) et trois Coupe Davis (2004, 2009 et 2011)) peut-il s’être si brusquement et si brutalement désuni ?

 

Source : Eurosport.fr

Source : Eurosport.fr

Cette année, le Majorquin a réalisé un come-back improbable après sept mois d’absence en raison d’une blessure à un genou. Un come-back qui l’a vu récupérer le trône de n°1 mondial et remporter dix titres dont deux majeurs, Roland Garros et l’US Open… Certes depuis cette finale new-yorkaise ravie à… Djokovic, l’Espagnol a moins bien joué mais le Masters à Londres lui avait redonné des couleurs (quatre victoires contre des Top 8, dont Roger Federer, et un seul set perdu). Comment un homme, dont la confiance était donc pratiquement à son zénith, peut-il avoir lâché, osons le dire « facilement », l’occasion d’engranger le premier tournoi des maîtres de sa carrière ?

 

La réponse est dans la question me rétorquerez-vous. L’occasion de devenir le deuxième homme, après André Agassi, a remporter les quatre grands chelems, le titre olympique, la Coupe Davis et le Masters aura peut-être submergé de stress l’Espagnol… Et si vous étiez là à m’envoyer cela dans les gencives, je m’insurgerais et vous assènerait : Nadal, submergé par l’enjeu ? Que nenni !

 

Nadal aurait-il envoyé son jumeau classé 4/6 ?

 

Et pourtant, pourtant, on a bien vu Nadal rentrer sur le court avec une tension presque palpable. On l’a bien vu déjouer d’emblée avec trop peu de profondeur dans ses coups, une très faible variété de types de frappe (trop peu de slices, trop peu de frappes dans l’axe évitant de donner angle et rythme à Nole), un ratio coups gagnants/fautes directes très loin de ses standards (3/10 dans le 1er set, 9/23 en tout) et surtout des fautes inhabituelles : des « miduf », des « baduf » en pagaille et quatre ignobles double-fautes rien que dans le premier set, indignes d’un homme qu’on a coutume d’appeler « Monsieur 80% en premières » tant il est régulier sur son engagement.

 

Source : LaRep.fr

Source : LaRep.fr

Il y a d’abord eu ce premier set très étrange. Djokovic a mené 3-0, frôlant le double-break avant de voir l’Espagnol égaliser à 3-3 avant de finalement l’emporter 6-3. On peut bien sûr arguer du fait que la surface de l’O2 de Londres est à la fois lente et offre un rebond bas. Tout ce qu’il faut pour amoindrir le lift de coup droit de Nadal…

 

Mais ça n’explique pas tout. La faiblesse de la variété des coups du n°1 mondial (pas assez de slices, trop de rythme donné à Djokovic du fond du court, etc.), la fragilité de son revers (qu’on avait pourtant vu, parfois, d’égal niveau avec son coup droit à l’US Open), la fébrilité et souvent même la déficience de son service, tout cela ne colle pas avec la saison que vient de livrer Nadal.

 

Calendrier, ton univers impitoyable ?

 

La fatigue pourrait-elle, alors, être avancée pour justifier le faux-pas de l’Espagnol ? Car même si le taureau de Manacor est capable d’enchaîner les corridas, la saison fut longue pour un homme à peine revenu de blessure (82 matchs disputés en tout, 75 victoires pour 7 défaites). Pour autant, sa saison ne fut pas davantage chargée que celle du seigneur serbe depuis l’US Open.
Leur parcours fut pratiquement le même : Coupe Davis (deux simples pour Djokovic, un pour Nadal), Pékin (les deux disputent la finale et c’est Djoko qui s’impose), Masters de Shanghaï (demie pour Nadal, victoire pour Djokovic), Masters de Bercy (demie pour Nadal, victoire pour Djokovic) et le Masters de Londres donc.

 

Source : L'Equipe.fr

Source : L’Equipe.fr

Au final, Djokovic a même joué trois matchs supplémentaires (pour un total de 81 matchs sur l’année, 72 victoires et 9 défaites). L’explication ne vient donc pas d’une fatigue particulièrement accrue chez Nadal, les deux hommes étaient au même stade de souffrance physique.

 

Vient enfin la question de la confiance. Djokovic était-il davantage sur un nuage que Nadal ? Oui, d’une certaine façon. Sa victoire en finale lundi fut la 22e de suite sur le circuit ATP. Le Serbe est tout simplement invaincu depuis sa… défaite à l’US Open contre Nadal. Mais la confiance de l’Espagnol ne pouvait pas pour autant s’être effritée ! Vainqueur porte d’Auteuil, vainqueur à New-York, redevenu n°1 mondial, l’Espagnol vient de livrer une saison parfaite, à l’exception près de sa sortie de piste dès le 1er tour à Wimbledon. Et surtout, surtout, il était parvenur à inverser la tendance dans sa rivalité avec Djokovic (6 victoires, 1 défaite entre Monte-Carlo 2012 et l’US Open 2013, faisant suite à 7 défaites consécutives de Nadal auparavant, d’Indian Wells 2011 à l’Open d’Australie 2012).

 

La confiance qui siffle, le genou qui s’érode ?

 

On cherche et on ne trouve pas d’explication à la débâcle de Nadal avant-hier soir.

 

Guy Forget, qui commentait pour Canal+Sport, émettait l’hypothèse que le genou de Nadal sifflait de nouveau sur une surface où le rebond bas nécessite, comme à Wimbledon, de plus régulièrement fléchir les genoux… Mais on ne peut pas dire que Djokovic ait abusé des slices et des amorties. Donc Nadal n’a pas eu spécialement à relever des balles douloureuses. Djokovic a même majoritairement servi extérieur pour favoriser de longs échanges en rythme (et non proposé un jeu varié destiné à faire déjouer Nadal).

 

Source : LeMonde.fr

Source : LeMonde.fr

On est donc sans explication. Sans explication devant ce service-volée du Majorquin, risqué, dans le premier acte pour tenter d’écarter une balle de break à 4-3 pour Nole… Un point finalement perdu grâce à une défense héroïque de Djokovic (lobe de défense puis volées autoritaires) et un break pour Djokovic qui mena 5-3 avant de l’emporter 6-3.

 

Sans explication devant cette précipitation à 1-1 dans le deuxième set où Nadal est au service et où il donne littéralement le break au Serbe (trois coups droits dehors !). Djokovic ne concèdera finalement que 6 points sur sa mise en jeu dans cette seconde manche, empêchant tout retour de l’Espagnol… 6-4 pour le n°2 mondial sans vraiment forcer.

 

Pas de cosmique tennis. Très peu de coups d’éclat. Et une statistique, irréelle elle aussi, pour conclure un match qui semble s’être passé dans le triangle des Bermudes : Djokovic a remporté davantage de points derrière sa seconde balle de service (70%) que derrière sa première (68%).

 

Ce match aurait dû se transformer en feu d’artifice tactique et technique entre les deux meilleurs joueurs du monde et de la saison. Il n’en a rien été, pas tant à cause d’un Djokovic solide et collé à sa ligne de défense qu’en raison d’un Nadal méconnaissable.

 

Roland RICHARD

@rolandrichard

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