La Tribune du Sport


Il s’appelait Jorge Martinez Boero

Jorge Martinez Boero (RTL.fr)

On nous beurre la raie depuis deux jours avec l’arrivée au Qatar des joueurs du PSG et de leur nouvel entraîneur bien portant, Carlo Ancelotti. Alors que pendant ce temps-là, à l’autre bout du monde en Argentine, le Dakar voyait son histoire une nouvelle fois endeuillée d’une disparition, celle du motard amateur Jorge Martinez Boero. 38 ans.

 

Un traitement médiatique particulièrement conciliant

 

Tout le monde s’en fiche ? Je n’irai pas jusque là. Mais dans l’article de L’Equipe de ce lundi matin, titré « Le Dakar endeuillé », le ton rassurant était de rigueur. Dans le récit du journaliste Julien Febreau tout comme dans le choix des interviews retranscrites par ce dernier, on sent poindre une indulgence qui pose pour le moins question.

 

Le désert argentin (RMCSport.fr)

Le journaliste affirme que « les secours se trouvaient sur les lieux en cinq minutes ». Ce qui est sans doute tout à fait exact. Mais quelques lignes plus loin, l’interview du directeur de la course, David Castera, respecte une ligne de défense précise, celle de la possible imprudence du pilote : « Cela faisait trois jours que [les pilotes] piaffaient d’impatience […] Du coup je les mets en garde car j’ai toujours peur qu’ils essaient de trop bien faire et qu’ils s’enflamment sur le début de course. » Par la suite, Cyril Despres, triple vainqueur du rallye moto, défend lui aussi l’organisation : « Je ne pense pas qu’il soit possible de faire beaucoup plus en termes de sécurité. »

 

Bien sûr, on rappellera sans malgré tout y accorder trop d’importance que le quotidien sportif est édité via la SNC L’Equipe, société qui appartient au Groupe Amaury, lequel possède également ASO (Amaury Sport Organisation) qui organise… le Dakar. On n’irait pas jusqu’à soupçonner les journalistes de L’Equipe d’indulgence car c’est un procès facile auquel je ne crois pas. Mais cela pose tout de même question.

 

Et cela interroge d’autant plus pour deux raisons. La première c’est que David Castera essaye, toujours en page 12 du journal, de rejeter du côté de la contingence ce qui s’est produit : « Ce sont des moments terribles à vivre, car on essaye de proposer du rêve à tous nos concurrents et on se fait rattraper parce ce qu’il y a de pire. » Comme si les morts ne faisaient pas partie du fameux rallye-raid qui dénombre pourtant 22 disparus parmi les concurrents depuis la première édition en 1979, sans parler des décès accidentels de personnes du public qui ont suscité l’indignation par le passé (+ d’infos).

 

La sûreté du rallye-raid en doute

 

De la même manière, et je sais bien qu’il n’est pas un communicant de formation, mais les propos de Cyril Despres sont tout de même étonnants : « On part tous de chez nous pour vivre une aventure et le fait que l’un d’entre nous ne rentre pas chez lui, ça fait chier. » Alors bien sûr, peut-être Despres était-il ému en disant cela, ce qui rendrait la teneur du propos différente. Mais sans élément supplémentaire, c’est un petit peu gênant de s’arrêter à l’emmerdement d’un décès. Là encore, une petite précision de l’envoyé spécial J. Fébreau du style « s’émeut-il » n’aurait pas été de trop. Il faut de la délicatesse quand on aborde un tel sujet.

 

Pascal Terry et son épouse (LeFigaro.fr)

Mais je m’égare sans doute en pointant les erreurs de traitement d’un journal que j’adore par ailleurs et qui travaille, on le sait, dans la précipitation. En outre, je ne veux pas accabler une institution ou bien un journaliste mais je souhaite davantage mettre en exergue des choix éditoriaux que je ne comprends pas.

 

On me rétorquera que je suis jeune, fougueux, déraisonnable, bla bla bla ! Mais personnellement, et sans tomber dans le misérabilisme, le destin de ce motard de 38 piges, marié et père d’une petite fille, les conditions dans lesquelles il est mort et le questionnement autour de l’organisation du Dakar m’interpellent nettement plus que la conversation entre les Qatariens et Ancelotti, les débuts du tournoi de Brisbane de tennis ou bien même le récit strictement « sportif » de cette première spéciale de 57 km du Dakar qui s’est déroulée hier.

 

Le traitement global qui est fait de l’information sportive est parfois totalement aberrent. Sur 20minutes.fr cette fois, la légèreté de Romain Scotto pour parler de l’équipement des motards m’a également interloqué : « Pour participer au Dakar, la fédération internationale impose une panoplie de Tortue Ninja. » Une analogie curieuse en période de deuil, surtout pour quelqu’un présent en Argentine.

 

Je terminerai cet édito en rappelant deux choses. La première, c’est que ce n’est pas parce que nous sommes journalistes sportifs que la mort et ce qui l’entoure n’impliquent pas une certaine sobriété de traitement. L’optimisme qui entoure les performances sportives – et pour lequel j’ai moi-même choisi ce métier – ne doivent pas nuire à la qualité du traitement de l’information. Certes les divers papiers cités rappellent, citant Cyril Despres toujours, qu’il paraît difficile d’améliorer les conditions de sécurité du Dakar : « On a déjà réduit la cylindrée, la vitesse, le poids des machines. Après ça reste une moto. […] Quand on chute, on n’est pas protégés. Dès qu’on passe par devant, on tape forcément sur le road-book. »

 

Mais il n’en demeure pas moins que la mort rôde autour de ce rallye. Car, et c’est le deuxième élément que je voulais porter à votre attention, le Dakar n’est pas toujours exempt de tout reproche. Souvenez-vous les conditions étranges dans lesquelles Pascal Terry était décédé, en janvier 2009, des suites d’une chute à moto sans avoir été secouru à temps par l’organisation. Là encore, en fouillant sur Internet, on ne trouve pas trace, après janvier 2010, d’un résultat de l’enquête faisant suite à la plainte déposée par la famille du pilote…

2 Réponses to 'Il s’appelait Jorge Martinez Boero'

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  1. La publicité sur Facebook de mon article a suscité des commentaires.

    Voilà les deux d’Adrien à qui j’ai souhaité répondre en-dessous.

    Premier commentaire d’Adrien :

    « D’une part : il y a des sports dangereux et des pratiquants qui vont trop loin dans leur pratique mais on mesure tous les dangers. Je suis bien placé pour le savoir. Les accidents en kitesurf arrivent (mort de Sébastien en Martinique la semaine dernière pour ne pas en parler)

    D’autre part : j’ai du mal à comprendre où tu veux en venir dans ton édito. »

    Ma première réponse :

    Je veux en venir à deux choses :

    1) Je ne comprends pas qu’on fasse ses gros titres sur le PSG et Ancelotti, les millions du Qatar, etc. alors qu’un type est mort dans sa pratique sportive et que c’est tout de même le Dakar (c’est pas dans une course de poney aquatique régionale). Par ailleurs, au-delà de ce qui ME semble important ou non, je trouve qu’il y a trop de légèreté dans le sport lorsque les sujets méritent de mettre les mains dans le cambouis : dopage, corruption, décès.

    On fait un métier merveilleux et qui a la chance de parler de beaucoup de choses heureuses (fait rare en journalisme). Mais on a l’impression que certaines défaites en football seront traitées avec plus de dramatisation que cette mort (paye quand même ces citations que je donne !). Je ne veux pas accabler les journalistes mais le coup de la comparaison avec les Tortues Ninja alors qu’un mec est mort, c’est intolérable !

    2) que le Dakar a un problème avec la question de la mort qu’il n’ose plus affronter depuis quelques années et qu’il n’a d’ailleurs jamais réglé concernant l’assistance.

    La réponse d’Adrien :

    « … chaque année il y a plusieurs morts en France du à la pratique du kitesurf. Est ce que ça veut dire qu’on devrait l’interdire?

    C’est pas agréable on est d’accord mais c’est une épreuve à risque tout comme beaucoup de choses. Et en dehors de ça, c’est une compétition magnifique.

    Roland, tu ne penses pas qu’il se sont posé la question? Tu ne penses pas non plus que les gens qui partent pour le Dakar ne se sont pas posé la question?

    Et tu ne penses pas que le Dakar répond aussi à une demande des coureurs? »

    Ma longue réponse, complément de mon article en réalité :

    Adrien > Je pense que la demande des coureurs est très forte. Mais je vais prendre deux exemples volontairement exagérés (quoique) pour essayer de te montrer mon point de vue. Et qui en réalité ne sont pas si différents.

    1) Les gens qui veulent se droguer dans la vie de tous les jours le veulent très souvent. Depuis longtemps (et je ne dis pas que ça ne va pas changer), l’Etat (en France du moins) combat cet état de fait car il s’agit d’une question de santé publique. L’Etat est censé ne pas laisser aux gens la liberté de se faire du mal. La vente du tabac et de l’alcool sans contrôle montrent que ça n’est pas tout à fait le cas je te l’accorde. Mais voilà la théorie. Et c’est une théorie à laquelle j’adhère. Car je n’ai pas le sentiment que les gens soient très responsables pour la plupart. Et d’ailleurs il n’y a qu’à voir les gens qui continuent de fumer même quand ils ont une crève, les gens qui continuent de picoler quand ils ont tout un tas de problèmes de santé que l’alcool aggrave, etc.

    2) Mon deuxième exemple concerne davantage le sport. Quand les athlètes se dopent (et ils sont particulièrement nombreux dans tous les sports), ils sont pour la plupart tout à fait sûrs de leur fait. On leur a farci la tête avec l’idée selon laquelle les produits sont meilleurs de nos jours, etc. Ce qui est tout à fait faux, il n’y a qu’à voir le nombre de sportifs qui meurent dans des conditions étranges. Mais le fait est qu’ils le font. Or on fait la chasse au dopage parce que justement, on sait que DANS CERTAINS CAS, le dopage aura des effets indirects terribles (cf. Ronaldo devenu « Gronaldo » ou, pire, le cycliste Marco Pantani, décédé).

    Dans les deux cas, ce qui pose question, c’est la limite que représentent la mort et la santé des gens/sportifs. L’organisation régissante (l’Etat ou les institutions concernées) prend la décision d’interdire purement et simplement la pratique car elle la juge trop risquée.

    Mais dans le cas de certains sports, malgré les innombrables effets néfastes constatés parfois depuis des décennies (Dakar, boxe anglaise, visiblement kitesurf), on pratique le « laisser-faire » sous prétexte que les athlètes sont conscients des risques qu’ils prennent. Alors que la vérité, c’est que bien souvent, ils ne le sont pas. On leur bourre le mou avec le fait que la sécurité s’est améliorée (dans mon analogie, que les produits dopants sont moins toxiques qu’avant, ou bien que le cannabis, ce n’est pas dangereux) alors qu’en réalité, il y a non seulement des morts fréquemment (on en est à une soixantaine tout de même dans le Dakar), mais en plus ils sont parfois morts du fait de la désorganisation (cas Pascal Terry supposé, l’enquête n’a pas rendu ses conclusions apparemment).

    Voilà mon point de vue. Le Dakar ne se pose donc même pas la question de sa propre disparition alors que 60 morts (en admettant ce chiffre), c’est incroyable conséquent pour ce qui est censé être un « sport » ! Et après on dit que le sport n’est pas comparable aux jeux antiques… Bah ça commence à y ressembler (entre les joueurs qui s’effondrent sur les terrains de football, les jeunes cyclistes emportés par des surdosages, les pilotes du Dakar, les footballeurs italiens malades à une quarantaine d’années, etc.).

    Par ailleurs, je trouve que le laisser-faire a justement filtré vers le journalisme sportif. Il y a une sorte de paix des braves. On laisse en paix ceux qui prennent des risques (!) au lieu de s’interroger sur l’intérêt réel de cette course, purement et simplement ! Il y a un laxisme des autorités mais aussi une esprit conciliant des journalistes qui est vraiment incroyable ! Dans L’Equipe, c’est certes le papier de tête la mort de Boero sur la page du Dakar, mais pas le papier le plus long. Sur Dakar.com, il faut lutter pour trouver la seule et unique trace de ce décès… Je n’ai pas regardé France Télé donc je ne me prononce pas mais ça fait déjà beaucoup tout de même…

    Qu’en penses-tu ?

    (Je mets ce long commentaire sur le blog et je vous invite à réagir dessus car j’aimerais garder une trace de cette conversation que je trouve vraiment décisive).


  2. […] Il s’appelait Jorge Martinez Boero […]


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